Essai n°9 : roman de fiction - 3ième modification et suite

Publié le par Albator13

Je n’ai aucun talent comme vous allez le constater avant peu. Qu’il s’agisse d’écriture ou d’amitié, d’amour ou de peinture, tout m’est fastidieux. Telle la bête de somme, la direction empruntée importe peu car je la suis aveuglément. C’est donc guidé par une volonté irrépressible que je jette ces premières phrases. Au mieux, on se désintéressera de moi, au pire on en rira.

 

Probablement, mettre des mots sur ces événements, dont je n’ai toujours pas saisi l’importance, m’aidera à mieux me comprendre. Si seulement, tout cela avait un sens. J’y verrais plus clair. Plus que tout, c’est la révélation que j’espère avoir au moment où je couche ces mots.

 

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Trahison.

Cette journée fût de celles dont on conserve un souvenir précis. C’est le deuxième samedi novembre 89 que tout commença. Une matinée anodine, noyée dans un océan de banalités. A cette époque, j’hésitais encore sur le sens que je voulais donner à ma vie. Aujourd’hui, je vous répondrais, après des coups durs en série, je n’attends plus rien de cette chienne. A l’époque de mes croyances naïves – j’avais 19 ans – je restais fermement convaincu d’être promis à un avenir quel qu’il soit. J’attendais paisiblement mon tour.

Ce matin-là, le réveil fût douloureux. Ma vie avait toujours eu le goût d’une existence quelconque sans que je m’en rende compte. Ce matin-là marqua le début d’une dépression dont il me fallut des années pour remonter la pente. Trop d’herbe, trop d’alcool, trop de mensonges ? Je ne connaîtrais jamais cette alchimie qui fît naître en moi cette absence de désir, de goût pour tout ce qui touche à la vie. Les lendemains de cuite m’ont toujours été particulièrement difficiles. L’alcool ne m’a jamais apporté cette légendaire puissance de réflexion, dont on affuble les grands alcooliques. Juste un abrutissement total, prêt à tenir les pires positions dans les discussions les plus creuses, prêt à m’embarquer dans les moments les plus désolants de mon histoire personnelle.

Ce matin-là, mon premier grand amour avait été trahi définitivement, sans aucun espoir de retour en arrière. Des mois de sourires évocateurs, de frissons à l’échange d’un regard. Tout fût balayé par le bruit grinçant de la porte d’entrée qui accompagna l’arrivée de Fany dans la demeure matriarcale. Dans le lit couché à mes côtés, le corps d’une femme respirant bruyamment. Une chaleur animale. Des odeurs corporelles. Un corps hideux. Des rides si profondes. La nausée me gagnait. Je m’imaginais prisonnier d’une sorte de cauchemar dû aux grandes quantités d’alcool que j’avais consommées la veille. Ce cauchemar prit brutalement les traits de la réalité : le drap qui couvrait nos corps éreintés par cette nuit orgiaque venait d’être subitement retiré. Une furie se dressait face à nous. Le regard fou, Fany hurla : « Romain, c’est toi ? Que fous-tu dans ce lit ? Tu as couché avec ma mère. Tu me fais vomir, pauvre taré. »

La scène sembla se figer comme si nous évoluions dans un milieu aquatique. La température chuta. Je sentis mon pénis se recroqueviller, mes testicules remonter dans mon abdomen. Livré à la réalité sans aucun moyen de la fuir, je n’avais d’autre solution que de faire face à la situation. « Non, ce n’est pas Romain. » réussis-je à l’insulter une dernière fois avant qu’elle ne dévale les escaliers. Lentement, je me tournais vers Jacqueline. A cet instant, une infinité de possibilités s’offraient à moi. Un instinct primaire enfoui au plus profond de mon inconscient guida automatiquement ma main vers une de ses deux énormes mamelles. L’adulte prit le pas sur l’enfant. Le plaisir prit le pas sur l’oubli. L’espace d’un instant, je me demandais qui d’elle ou de moi se sentait le plus sale. L’heure n’était plus aux questions. L'heure n'était plus à la tendresse. Nous n'étions plus que deux âmes vengeresses, tordues par un ressentiment réciproque, chacune à la recherche de la caresse la plus intimement humiliante pour l'autre. L'orgasme me vînt rapidement. Excité par la perversité de la situation, je laissais cette énergie brutale submerger tous mes sens. Quelques mots, quelques caresses. Puis la fuite. La fuite purificatrice. L’odeur âpre de ma double trahison emplissait la pièce. Bouleversé, je me précipitais confusément vers ces escaliers libérateurs. La lumière de la Canebière me brula les yeux. J’y surgissais comme en état apesanteur.

Fany et moi nous étions rencontrés au début du printemps. Lorsque les sens endormis par de longs mois d’hiver reprennent leurs droits sur la vie. Lorsque les signes de la renaissance inondent nos veines du désir des corps. La rencontre ne débuta pas sous les meilleurs auspices. Je l’avais remarqué, elle m’avait ignoré. Plusieurs semaines s’écoulèrent avant que le droit d’exister ne me fût accordé. Avant que ses yeux ne finissent par me voir. Avant que mon corps ne devienne matériel. Elle était de ses femmes qui, courtisés par de nombreux prétendants, adopte inconsciemment un comportement d’évitement extrêmement élaboré, visant à décourager ouvertement tous ceux pour lesquels l’obstination n’est qu’un mot vain. Autour d’elle s’était organisée une cour composée de nombreux courtisans, éblouis par son étrange énergie et fascinés par sa fébrile nervosité. Mon entêtement m’ouvrit les portes du plus incroyable des trésors. Le masque tombé, Fany était la douceur de sa peau, la blancheur de ses seins. Bien que de forme quelconque, son corps faisait déferler en moi des tsunamis de désir, des tempêtes de passion. Mon âme avait toujours fui la douceur. Elle me glissa inconsciemment dans le lit de sa mère.

La conscience ébranlée par la stupidité de mes actes - comment peut-on en arriver là ? - je descendais la Canebière en ressassant ces instants qui s’éloignaient irrémédiablement de mon présent. L’oubli plutôt que l’affrontement. L’alcool plutôt que la réalité. J’atterrissais rapidement sur le Vieux Port. Le soleil se levait à peine. Dans l’ombre de la Bonne-Mère, les camelots installaient bruyamment leurs étals de fleurs. A une heure aussi matinale, la mélancolie emplissait les lieux de son fiel oppresseur. Dans quelques instants, l’animation serait à son comble. L’espoir d’étourdir mon âme dans un tourbillon de cris, de couleurs, d’odeurs comme seule Marseille sait en délivrer. Je m’asseyais de l’autre côté de la rue à la terrasse d’un bistrot.

Le comportement du serveur fût sans surprise : dédaigneux. A plusieurs reprises, je lui fis signe. A plusieurs reprises, il m’ignora. Un jeu très français, courant dans pratiquement tous les bars de l’hexagone. Identique en tous points à une parade amoureuse. L’amour-propre du serveur doit être préservé. Il s’agit d’un service que l’on veut bien nous rendre. Il ne s’agit nullement d’une obligation découlant d’un contrat de travail. Mes sourires l’amadouèrent peu à peu. Il entama alors sa manœuvre d’approche final. La trêve fut signifiée par un « Bonjour » à peine audible. Il me montrait de la sorte qu’il n’était pas encore pleinement apprivoisé. Refroidit quelques peu par mon absence d’accent, quelques expressions marseillaises, quelques sous-entendus sur ses difficiles conditions de travail l’abandonnèrent définitivement à ma cause. J’acquis enfin le statut du mâle ne mettant pas en danger sa virilité. Et par la même, j’accédais enfin à mon désir le plus cher : une bouteille de rosé. La foule arriva. Juste à temps pour commander une seconde bouteille. Je savourais pleinement l’étourdissement qui se propageait jusqu’à mes extrémités en observant le flot humain qui se déversait dans les moindres recoins du Vieux-Port. Des âmes éphémères. Des fantômes de chair. A l’existence si complexe, si secrète. Imaginant le calvaire de leurs existences anodines, j’oubliais un instant la réalité de ma vie quelconque. J’errais ainsi dans les millénaires d’humanité oubliée. L’attachement incongru porté à nos brèves existences. Des millions de générations à l’histoire oubliée par tous. Qui connait son père ou sa mère ? Au mieux, leur âme ne survivra à leur corps enterré que deux ou trois générations. Je parvenais peu à peu à relativiser mes errements. En définitive, mes choix étaient sans valeur, sans importance aucune. Aussi vite effacés que la craie sur le tableau noir.

La matinée touchait à sa fin. Le tramway fût le premier à se présenter pour me raccompagner jusqu’au pied de cet appartement dans lequel je logeais. Cet appartement qui montrait toute l’absurdité de mon existence. Cet appartement qui m’était tellement étranger. Le strict nécessaire. Un frigo rempli de bières. Quelques verres sales sur la table depuis plusieurs semaines. Le reste d’un repas datant de plusieurs jours. Une bouteille de cognac, compagnon des temps forts que je souhaitais rendre inoubliables. Je jetais mon corps brisé sur un canapé délabré qui me servait de lit. Le corps éreinté et l’âme douloureuse. Impossible de lutter contre l’apesanteur. Mes paupières s’abattirent lourdement. C’est alors que l’enfer se déchaîna. L’enfer auquel j’étais parvenu à échapper grâce à l’alcool salvateur. Dans un geste hésitant, je m’emparais d’une bassine providentielle disposée stratégiquement à cet emplacement probablement dans un moment de lucidité. Je vomis longuement. Mes organes internes étaient de la lave incandescente. Mon visage était un abcès d’où s’écoulaient des larmes mêlées à la puanteur de mes entrailles.

J’avais assassiné la douceur de Fany. J’avais battu à mort sa confiance. J’avais détruit l’amour qui rayonnait de son visage, pour longtemps, sinon pour toujours. Plus jamais, nos lèvres moites ne s’entremêleraient d’un désir fébrile et ardent. Plus jamais, mes mains ne parcourraient les courbes pleines de ses doigts. Mes yeux pleuraient le remord qui me rongeait. Mon visage vomissait la honte qui m’avait submergée. Des pleurs comme un enfant dans un appartement froid et sans âme. Le sommeil de la délivrance se présenta enfin. Mais les heures s’égrainèrent dans une douleur aigüe, entrecoupées de phases d’un sommeil nerveux. La bassine dégageait ses effluves qui enserraient ma gorge comme deux serres rédemptrices.

Le soleil disparut à l’horizon de la fenêtre. Le funeste dessein que m’avait réservé le sommeil fut balayé. Je m’éveillais enfin, toujours habité par ce sentiment pesant. Malgré tous mes efforts. Fuir ou combattre. La crainte de croiser Fany à un moment inapproprié, la crainte de la rencontrer dans un lieu inadéquat faisait force de nécessité. La lâcheté me conseillait la confrontation. La lâcheté me conseillait de préserver ce qui me restait d’orgueil. Je pouvais en avoir besoin plus tard. Le peu de courage que diffusait l’alcool dans mes veines me donnait un semblant de volonté là où seule la peur régnait. Ma fierté en tremblait, c’était une de mes faiblesses. J’oublierai vite, c’était une de mes forces.

Je devais me décider avant que l’alcool ne m’abandonne. Quel lieu pouvait résister à une telle conflagration ? Pas dans l’appartement qu’elle partageait avec sa mère. Je ne voulais pas du regard, des commentaires de sa mère. La cause féminine induit des comportements surprenants. Ni dans la rue. Je craignais tout autant le regard de l’inconnu. Il me fallait faire appel à mon esprit embrumé malgré la chape de plomb qui l’emprisonnait. Cet esprit si froid d’habitude, si calculateur d’ordinaire. Mécaniquement, mes jambes me portèrent jusqu’à la rue où une fine pluie avait recouvert le pavé d’une sueur grasse de fin d’été. L’improbable se produisit. Elle était là, assise à la terrasse de ce petit bar triste donnant sur le Vieux-Port. Sa chapelle quand elle fuyait sa mère. La pluie avait entassée la majorité des clients à l’intérieur. Quelques uns débordant de l’entrée se répandaient sur le trottoir, la fumée de leur cigarette se frayant un chemin à travers la pluie.


L’indécision s’était solidement installée aux portes de ma volonté. Le risque - je n’ai jamais aimé le risque - était que la situation pouvais rapidement tourner à mon désavantage. Fany ne saurait contenir cette déferlante d'émotions qui allait et venait en se brisant contre son âme meurtrie. Le dernier rempart avant la douce folie de l'oubli. Je ne pouvais m'empêcher de succomber encore une fois à la tristesse de ces yeux. Sa beauté si particulière était bafouée par la présence obscène de nombreux supporters de l’Olympique Marseillais, rendus furieux par l’issue négative du match qui se terminait. Une déesse d'une mythologie antique et ses prêtres sanguinaires. Dans cet opéra barbare à la partition d'une sonorité explosive, j'étais le mouton sacrifié. L'instant aurait pu se prolonger indéfiniment, la lâcheté ayant pris possession de tout mon être. En moi, mes sphincters semblaient se relâcher, ma vessie se comprimer, en un mouvement perpétuel. Incapable de m'éloigner d'elle ou de m'approcher d'elle. Jusqu'à ce que ses yeux fassent le premier pas en découvrant une improbable statue de chair, figée à quelques pas d'elle. Je tentais de me convaincre que la situation aurait pu être pire.

Ma grande naïveté m'avait fait espérer une possible réconciliation. Le regard menaçant de Fany m'empêchait d'ébaucher le moindre geste. Le désir de lire dans ses yeux autre chose que de la colère. La folie d'y deviner le bonheur de me voir revenir à elle. J'étais fou. Son regard hostile avait considérablement entamé l'once de courage que l'alcool me procurait encore quelques instants plus tôt. Elle se leva brutalement et vomit toute sa haine dans des mots que mon esprit refusait d'admettre. Je compris seulement à cet instant que notre bonheur était irrémédiablement perdu. Mes tempes tapaient furieusement. Mon champ de vision était inexistant. Une femme noyée dans les ténèbres. Ses hurlements semblaient provenir de l'autre côté d'un long tunnel amplifiant l'écho de ses cris atténuant l'intensité de ses pleurs. Dans la brutalité de son geste, elle avait renversé son verre et tandis que le liquide se répandait sur le sol, elle s'approcha de moi en titubant. Tous firent silence. Seul le commentateur sportif, à l'abri dans son téléviseur, continua de se désintéresser de la scène. J'avais envisagé le pire. Je n'avais pas prévu l'humiliation. Encore une fois la réalité démontrait la force de ses plans.

Soudainement, la douleur inonda mes sens. Le visage brûlant, je ramenais trop tard mes deux mains pour me protéger des coups que me portait la furie qui me faisait face. Le sang coulait le long de mes joues comme de chaudes larmes. Dans ma douleur, je lus le dédain sur le visage des spectateurs de notre lamentable jeu. Dans mon délire, mon orgueil bafoué prit une ampleur telle que mon attention tout entière s'y engloutit. Mon arrogance avait gommé la présence de Fany et, comme dans un cauchemar, porta automatiquement mes pas vers le plus proche des groupes d'individus qui me contemplaient hilares. Quelques jeunes gens chuchotant entre eux. S'échangeant des sourires complices. Excellant dans cet art tellement pratique qui consiste à focaliser sa haine sur une cible commune réduisant ainsi les tensions internes au groupe. Sans doute, dans les temps préhistoriques, cette capacité a sauvé l'humanité. Sans doute, dans les temps modernes, elle nous conduira à notre perte. La peur pulsant dans mes veines, des cris d'orfraie incontrôlés s'échappèrent de ma bouche. Un instant hésitant, un des hommes s'avança et me repoussa brutalement me livrant aux représailles éventuelles de sa puérile virilité. Enhardi par ma voie aigüe qui l'avait très probablement convaincu de l'absence de menace que je représentais. Il était le seul à pouvoir me remercier : je venais de lui offrir la reconnaissance pour un soir des jeunes filles qui l'accompagnait. Comme un porc qui sent venir son heure à l'abattoir, je cédais, je m'enfuis.

L'ombre de Fany s'évanouit à l'angle de la rue sans que je me fonde derrière ses pas. Je la laissais à son destin. La crainte de l'avoir détruite était à son tour réduit à néant : Fany avait à ses dispositions des ressources insoupçonnées. Curieux comme le jeu amoureux altère les comportements. Toute femme a en elle son amazone potentielle, l'alliée des épisodes difficiles. Fany n'était plus faiblesse mais force et courage.


Ayant reçu cette révélation, je fuyais le Vieux-Port, tel Abraham l'Egypte, pour m'enfoncer dans le quartier du Panier qui m'accueillit avec ses rues étroites et désertiques où j'espérais retrouver une vieille compagne, la solitude. Je suivis le chemin sinueux d'une de ses montées qui ont fait la renommée de ce quartier. Autrefois le repère des voyous marseillais. Aujourd'hui le cadre de vie des bobos parisiens. Ceux-là même qui vendent aux américains, vomis par les bateaux de croisière, une authenticité provençale qu'ils dénigrent naturellement. En somme, un quartier peuplé désormais de voyous d'un genre nouveau. Le sens du tragique me fit me retourner une dernière fois pour contempler du haut de cette butte antique le Vieux-Port dominé majestueusement par la Bonne-Mère, l'église de notre Dame de la Garde. La pluie avait cessé et les nuages s'étiraient désormais entre de longues flaques noires jouant avec les quelques étoiles que la vie moderne nous autorisait encore à voir. Lentement, les coques des bateaux amarrés dansaient un tango sensuel avec les reflets sur l'eau des milles feux de la ville. Une forêt de mâts ondulait lentement au grès d'un clapotis qui venait battre la mesure avec les contours de ces quais plusieurs fois millénaires. Sans idée de ma destination, je parcourais des ruelles étroites qui me paraissaient identiques les unes aux autres. Leur absence de traits caractéristiques, la pluie qui reprenait de plus fort, l'obscurité apaisante. Tous ces éléments collaboraient pour m'offrir une armure m'isolant de cet univers angoissant. Le fantasme pré-natal. Le cocon protecteur. Je ne craignais plus mon avenir car le présent occupait en globalité l'horizon de mon existence.

Mon errance s'arrêta devant les grilles qui barraient l'accès à la Vieille Charité. Ce lieu au funeste dessein, frontière concrétisant l'opposition entre notre folie, que nous appelons raison, et celle de ceux qui nous sont étrangers, que nous appelons démence. Le cynisme de l'Histoire prit les traits d'une mendiante avachie le long d'un des murets extérieurs devant cet hôpital qui fût longtemps la sinistre demeure où la normalité exerçait un pouvoir sans limites sur les indigents. Encadrée de ses deux caddies qui contenaient un montagne d'objets, la synthèse de sa vie, elle semblait assoupie. Tel un voyeur vorace, je l'examinais sans pudeur. Plus alerte que je ne le pensais, elle me fixa à son tour d'un regard de braise.

  • Ne regarde pas ma misère. J'veux pas qu'tu regardes ma misère.

  • Je vous observais avec curiosité, j'en suis désolé.

  • T'es désolé ? T'es rassuré, tu veux dire. T'as trouvé pire que toi. Les gens comme toi y aiment voir ça, ça les réconforte. Vous en avez besoin, vous autres, des pires que vous.

Contre toute attente, elle me fit signe de m'asseoir à ses côtés. Son geste fut lent et hésitant comme si un conflit intérieur minait sa décision. Sa demande me surprit tant et si bien que j'obéissais sans réfléchir. A la façon d'un gamin se faisant réprimander par sa mère qui l'a surpris volant une pièce dans son porte-monnaie, une honte confuse me gagnait progressivement. Ses yeux fixaient un point imaginaire perdu quelque part entre l'horizon et le zénith. Lorsque je m’assis sur le parapet qui lui faisait face, sa concentration semblait être telle que rien sur son visage n'indiquait qu’elle ait remarqué ma présence. Avais-je mal interprété le signe qu'elle m'avait fait ? Son geste maladroit aurait pu également signifier qu'elle m'intimait l’ordre de partir. Cependant, je me sentais à ma place et décidais de passer quelques instants en sa compagnie. Immanquablement, mon regard fut attirer par le point qu'elle fixait, par cette fenêtre, encadrée de nuages illuminés des feux de la ville, qui s’ouvrait sur un ciel saupoudré d'étoiles. Peu à peu, un sentiment de plénitude grandissait en moi et je me réconciliais avec l'univers. De peur d'anéantir la magie de ce moment rare, je me taisais. Elle resta longtemps immobile. Ses yeux ne cillaient pas. Un statue grecque décadente. Sa tenue vestimentaire faite de multiples couches entremêlées et bigarrées aurait pu servir de modèle aux apprentis sculpteurs tant leur complexité offrait un terrain d'apprentissage extraordinaire. Puis, après un temps indéterminé, qui pouvait être quelques jours ou quelques années, elle reprit vie. Ses yeux s'animèrent à nouveau. Ses mains reprirent leur tremblement. Elle me regarda et me dit :

  • Je m'appelle Sophie.

  • Vous êtes philosophe ?

  • Qu'est-ce que tu racontes ?

  • Je dis qu'avec un tel prénom vous ne pouvez être que philosophe.

  • Si je suis philosophe alors, c'est que j'ai pas le choix.

  • C'était quoi votre vie avant ?

  • Avant ? Tu veux dire avant ce que je suis Maintenant ?

  • Oui.

  • C'était y'a bien longtemps de cela.

  • Comme dans une autre vie ?

  • Oui. J'me battais toujours. J'me battais contre tout le monde. Je voulais tout pour moi. J'pensais qu'à en avoir toujours plus.

  • Vous étiez ambitieuse, c'est ça ?

  • Tu l'es pas toi, ambitieux ? A ton âge, on l'est. Puis un jour, ça te passera une fois que la vie t'aura donnée quelques bonnes raclées.

Avant de lui répondre, je réfléchissais au sens de ces paroles. Etait-il possible que l'ambition soit le compagnon de la jeunesse et que, lorsque celle-ci disparaît, elle prenne elle aussi son envol ? Je finis par lui répondre :

  • C'était pas plutôt le regard des autres que vous recherchiez.

  • A l'époque, j'croyais que ma vie avait un but.

  • Vous vouliez tout parce que vous vouliez croire en votre importance.

  • T'as déjà vu un ambitieux qui montre pas qu'il a tout ce qu'il veut ?

  • Les ambitieux sont dangereux. Les gens sont assez fous pour croire en leurs fantasmes et mourir pour eux.

  • Faut des forts et des faibles. J'étais forte. Maintenant, j'suis vieille. Un jour, tu veux tout et, après, tu veux plus rien. Ca finit quand t'es mort, j'pense.

  • Ca a commencé quand ?

  • J'ai longtemps fait semblant. Puis mes amis, y ont compris mon jeu.

  • Vous travailliez trop ?

  • J'travaillais pas assez.

  • Vous n'avez rien fait pour arrêter ça ?

  • J'pensais rien qu'à ma peine et comment l'oublier.

  • Je suis désolé pour vous.

  • Maintenant, je veux que tu partes. J'aime pas qu'on regarde ma misère, j't'ai déjà dit. Tu vas mieux maintenant, alors tu pars.

  • Comment vous retrouver ?

  • Ben ce restaurant là m'donne ses restes. Y savent toujours où j'suis.

  • Je repasserais vous voir.

Je la quittais dans l'expectative. Que pouvais-je attendre d'une telle relation ?Bien qu'une femme soit rarement capable d'amitié, car elle donne tout à l'amour, je décidais que Sophie n'appartenait pas à la vaste famille des séductrices de tout poil et que, en conséquence, l'amitié était possible. Quel échange curieux. Cette femme au corps énorme et à la tête hirsute m'avait séduite par son intelligence pragmatique, celle qui ne s'apprend pas en lisant mais en vivant. Je fantasmais en imaginant créer de toutes pièces un homuncule au corps parfait, qui serait le siège de son esprit, et que je chercherais à séduire dans le but avoué de l'entraîner dans une longue valse des corps et des âmes.


Je divaguais ainsi sans prendre conscience de la vie qui autour de moi, peu à peu reprenait ses droits sur la nuit. Le temps s'était accéléré et le soleil diffusait sa lueur timidement derrière l'horizon. Bientôt, il imposerait à tous sa brûlante présence. Dans l'immédiat, il me faisait don d'une nouvelle ardeur. Je bouillais de changer le sens que je donnais à mon existence. Subitement, l'évidence fit jour en moi : je devais naître une seconde fois pour être lavée de mes erreurs en fuyant cette ville qui en était le triste rappel. L'oubli serait la meilleure des thérapies. Je décidais de me fier aveuglément au sort que la mer, j'espérais bienveillante, me réserverait. Je prendrais le premier bateau au départ.

Ma vie tenait dans un sac. Mon passé était un mur gris qui dissimulait ses vestiges. Le passé de Sophie, la vieille femme dont j'avais fait la rencontre cette nuit, semblait bien plus vivace que le mien. Indéniablement, elle restait habitée par son passé.

Il me restait un dernier problème à résoudre. Pour me débarrasser de l'appartement que je louais, je déposerai les clés dans la boîte aux lettres du propriétaire, je devais absolument éviter de me montrer car je devais le bannir dès à présent de ma mémoire. La caution que je lui avais laissée il y a plusieurs années lui servirait de dédommagement. Il comptait le moindre sou bien qu'il eût tout et bien plus. Il était affligé de ce caractère qui rapetisse l'homme. Il m'arrivait quelque fois d'imaginer ce petit homme vivre sous un autre régime. Je l'imaginais en romain ou en égyptien de l'Antiquité. Ses petites manigances auraient-elles eues le dessus sur son humanité ? En tout état de cause, il m'en importait peu désormais car, dans quelques heures, son souvenir serait remisé et s'estomperait progressivement pour finalement s'effacer. Une existence au travers de laquelle je serai passé sans rien en saisir comme on traverse un nuage aux formes mouvantes aussi vite effacées qu'elles se sont dessinées.


Le corps et l'esprit éreintés par les nombreux bouleversements de la nuit, il m'aurait fallu me reposer afin de m'assurer que je prenais bien la bonne décision en partant. En me reposant, je prenais le risque de changer d'avis. Je préférai donc partager mes dernières heures avec mon compagnon de toujours, Thomas, mon âme soeur. Je m'emparais du premier téléphone public qui se présentait à moi alors que je remontais la Canebière et pianotait compulsivement son numéro en espérant de réussir à le joindre.

J'avais rencontré Thomas il y a plusieurs années. Nous nous étions immédiatement détestés. Il était sidéré par l'incohérence de ma personnalité alors que j'étais stupéfait par son égotisme haïssable. Il parlait à tort et à travers durant des heures et sa discussion évoluait au gré de ses interminables digressions. Un soir, alors que le destin nous avait réuni seuls autour d'un verre, nous avions discuté plus longuement que le simple usage de la politesse nous y avait autorisé jusqu'à présent. Nous avions abordés plus de thèmes que je n'en traitais en une semaine avec mes proches. Au final, une certaine cohérence se dégageait de son discours. L'esprit de Thomas était simplement brouillon. Trop d'idées se pressaient en lui. Bien plus qu'il n'était capable d'en traiter simultanément. Si bien qu'il les exprimaient de manière complètement décousue. Avec le temps, j'apprenais à aimer cet homme confus et approximatif. Une virile tendresse s'était finalement développée.

Thomas se levait toujours très tôt. Je ne le réveillais pas. Lorsque qu'il décrocha le téléphone, je le trouvais comme à son habitude en train de méditer longuement sur les avantages et les inconvénients d'une ouverture de jeu. Passionné par les échecs, son premier réflexe dès le réveil était de jeter son dévolu sur l'analyse d'une partie historique. Il m'avait expliqué maintes fois l'importance des échecs sur son développement personnel. Selon lui, les échecs sont une parfaite illustration de la vie car une partie, c'est avant tout un combat contre soi-même. A chaque coup, affirme Thomas, le joueur doit s'interroger sur l'état du jeu en passant en revue une série de questions étonnement proches de celles que l'on se pose au quotidien. Le jeu d'un joueur reflète très souvent son caractère, dit-il. Les timorés jouent la défense tandis que les ambitieux jouent une partie plus agressive. Il y a les sadiques qui font durer la partie éliminant l'une après l'autre vos pièces pour avoir la satisfaction de vous humilier alors qu'il ne vous reste que le roi. Il y a les vicieux qui élaborent des stratégies dont l'objectif principal est de vous démontrer la supériorité de leur capacité intellectuel sur les vôtres. Le monde des échecs est aussi varié que le monde des hommes. Probablement en plus schématique, j'ajoutais systématiquement, ce qui avait pour conséquence de clore la discussion.


Nous avions décidé de nous retrouver à la Terrasse. J'arrivais plus tôt que prévu pour savourer un verre en lisant le journal, c'était mon grand plaisir. Depuis deux jours, les quotidiens ne titraient plus que sur les brèches ouvertes dans le « mur de la honte ». Puis le mur s'était effondré. Une fin à l'image de celle qui nous attend. L'histoire s'était figée et devait décider de son avenir. Personne n'envisageait les transformations qui allaient affecter le monde. Je n'imaginais pas la forme sous laquelle je renaîtrais. Les pages du journal semblaient défiler sous mes yeux comme animées d'une vie qui leur était propre. De temps à autre, mon regard s'arrêtait sur un article dont le contenu venait conforter l'idée que je me faisais du monde des hommes et des hommes qui l'animent. L'Histoire est une mélodie répétitive sans cesse ré-écrite avec les mêmes désaccords par une élite depuis longtemps trop prévisible. Je poursuivais ma lecture riant de toutes ses tragédies qu'elles soient réelles ou jouées. Le temps filait et je jouais ma propre vie en fumant cigarette sur cigarette. Est-il un plaisir qui ne tue pas ? Thomas en apparaissant enfin devant moi m'accorda quelques minutes de vie supplémentaires que la cigarette suivante m'aurait enlevée sans remord.

Il était tendu. Nous ne nous étions pas vu depuis plus de deux mois et j'étais probablement la dernière personne qu'il avait dû voir. Il s'était bâti une existence au sein de laquelle l'humain était banni. J'étais la dernière bouée qui lui rappelait son humanité. Comme un d'autisme, il souffrait de graves difficultés pour étbalir des interactions sociales. Contrairement à un autiste, il avait de multiples centres d'intérêt. Une personnalité contrastée et insaisissable, dont les contours étaient impossibles à délimiter. Il faisait toujours l'effort maladroit de se montrer agréable. Il s'efforçait d'imiter un idéal d'humain convenable pratiquant l'humour. De fait, son humour était déplorable.

  • Ave, Romain.

  • Cela fait longtemps qu'on s'est vu pour la dernière fois.

  • Il faut qu'on se voit plus souvent.

La raison d'être de ce petit rituel était de nous excuser mutuellement de nous être ignoré le dernier mois. Je connaissais l'extraordinaire dédain qu'il nourrissait à l'égard des autres. Il m'avait laissé l'approcher, devenir son ami le plus intime, car en l'observant j'avais saisi la clé de son psychisme : ne pas l'importuner plus d'une fois par mois. Il était trop égoïste de son temps, déjà considérablement morcelé par ses multiples passions, pour en donner aux autres. A la manière d'un comptable, il s'assurait que chaque instant dépensé lui rapporta des intérêts en adéquation avec son investissement. Notre amitié était acceptable tant qu'elle n'empiétait pas sur ses nombreuses activités.

  • Thomas. Je vais partir.

Je vis son visage s'assombrir subitement. Durant, un bref instant, son corps et son âme s'étaient désolidarisés. Son esprit en suspension dans un espace lointain n'avait plus aucun pouvoir sur la matière. J'avais sous-estimé l'importance de notre amitié dans le rituel de son existence. Il me répondit sur un ton d'où filtrait le cynisme sans qu'il l'ait voulu.

  • Tes choix ont des raisons que je ne connais pas. Je te fais confiance, Romain. Mais pourquoi ?

  • Parcourir la moindre des ruelles réveille en moi le souvenir douloureux de ce que j'ai été. Je me suis trahi trop souvent. Un nouveau cadre lavera la crasse que j'ai laissé s'accumuler dans les moindres replis de ma vie.

  • Que s'est-il produit pour que ta vie te soit désormais un fardeau ?

  • J'ai couché avec la mère de Fany.

  • Inqualifiable.

  • Fany nous a trouvé au lit.

  • Impardonnable.

Curieux de connaître le moindre détail, Thomas me questionna longuement sur les détails de ce vaudeville. Il me demanda plusieurs fois de revenir sur le passage où Fany avait retiré le drap sous lequel elle nous avait découvert, sa mère et moi et, inlassablement, il reprenait mes paroles et riait aux éclats durant ce qui me paraissait une éternité. A force de voir Thomas se convulser de la sorte, le comique de la situation m'apparut enfin. Il est toujours difficile pour les acteurs d'une scène de se rendre compte du grotesque qui s'en dégage. Ses rires, d'abord forcés car rendu nécessaires par la brutalité de mes aveux concernant mon départ imminent, devinrent progressivement naturels. Son visage détendu indiquait que son angoisse première l'avait quittée. Nous pouvions finalement entrer dans le vif du sujet.

  • Je ne sais pas si je reviendrais, Thomas.

  • Tu aimes trop nos collines et les marseillais pour dire ça.

S'ensuivit une longue discussion durant laquelle il déploya des efforts considérables pour me faire revenir sur ma décision. Il usa de tous les stratagèmes que son intelligence imagina pour arriver à ses fins, du plus adroit au plus grossier, du plus direct au plus sournois. Ses mots étaient précis, ses gestes contrôlés. S'il avait été faux, Thomas aurait fait un grand politicien. Plus séducteur, un acteur de renom. Pour obtenir un avantage, il n'hésitait pas à contredire ce qu'il me jurait être la réalité seulement cinq minutes plus tôt. Pour contrecarrer chacune de mes objections, il ne s'embarrassait d'aucun principe. Une partie d'échecs sans pitié. J'étais la seule pièce restant sur l'échiquier, acculé dans un coin, confronté à un adversaire qui n'avait que l'embarras du choix pour me mettre en échec.

A bout de souffle, je finis par me rendre. J'admettais tous ses arguments. La messe était dite. Thomas était le meilleur ami que l'on puisse trouver. Son but, bien qu'assez peu clair pour le plus grand nombre, n'était pas de me conforter imbécilement dans ma décision. Il était mon meilleur ennemi car il déployait des efforts considérables pour me faire prendre pleinement conscience des implications de ma décision. Quand je le regardais, je voyais un but vers lequel je devais tendre, un moi-même plus grand. Thomas n'était pas de ces amis, si vite faits, si vite perdus, dont le seul intérêt est de vénérer son propre visage dans un miroir complaisant. Thomas était de ces amis rares qui vous tordent les tripes à chaque rencontre, qui n'hésitent pas à froisser votre ridicule orgueil, car ils posent avec amour les questions que vous souhaitez cacher à votre conscience.

Durant toute la conversation, Thomas s'était positionné en ennemi. J'avais encore une fois grandi grâce à lui. Longuement, ses questions m'avaient fait hésité sur la justesse de mon choix. Rien n'était mon sûr que mon départ lave mes erreurs. Mais l'oubli jouerait son rôle. C'était là l'unique raison de mon départ. Nouveaux lieux, nouvelles visages, nouvelles situations. Il y aurait sans aucun doute des matins où le réveil serait difficile mais rapidement mes souvenirs pénibles seraient remplacés par le tracas d'un quotidien ancré dans une vertueuse réalité.

Satisfait car il vit dans mes yeux que ma décision était prise en mon âme et conscience, Thomas changea brusquement de sujet. Un léger pincement de satisfaction à la commissure de ses lèvres était le principal indice de la joie qui devait l'habiter. Il avait joué le rôle de l'ami tel que la définition qu'il en donnait. Dès lors, la conversation devait se poursuivre sur des thèmes plus triviaux. Tels étaient les termes de notre contrat implicite. Ne portant aucun intérêt immédiat aux événements d'une portée considérable comme la chute de mur de Berlin, il affirmait que de tels sujets devenaient passionnants quand ils entraient dans l'Histoire, après que la masse abrutie ait longuement ânonner les discours des médias, disait-il. Il avait un faible pour l'actualité qui contribuait à la validation de sa théorie selon laquelle l'homme est l'engeance maudite d'un dieu amoral.

Un fait divers sordide. Une jeune fille de 17 ans tue son père d'une balle en pleine tête. Le père était endormi, son sommeil était paisible. L'horreur de la situation ne vient pas du geste de la fille. Son père était un homme brutal aux convictions néo-nazies. Pourquoi ce geste désespéré ? Sont-ce les saluts que ses cinq enfants devaient faire tous les matins devant un portrait d'Hitler ? Sont-ce les coups qu'il faisait pleuvoir au quotidien sur sa famille ? Trois plus tard, un juge acquittait la fille.

Le jour arrive pour tous où nous sommes le juge de notre existence. Je m'armerai alors d'un courage extrême. Tout ce que j'ai dit pour ne jamais le faire. Tout ce que j'aurais fait pour ne jamais le dire. Je serai mon propre bourreau.

Ce soir là, Thomas avait fait souffrir plus que d'ordinaire ma pauvre tête mise à mal par ces dernières journées. En guise de cessez-le-feu, je lui proposais de nous poser mollement sur mon canapé avachi notre cognac rituel à la main. Thomas suggéra que Coltrane serait parfaitement adapté à la situation, non pas dans sa période noire mais dans son expérience mystique qui marqua son renouveau musical.

Si Coltrane avait ressuscité, nous avions tous une seconde chance. Paisiblement, nous dissertions sur le thème en remontant la Canebière. A la vue des illuminations de Noël qui avaient été montées la veille, le visage de Thomas s'était à nouveau assombri. Il abhorrait cette période de l'année alors que je fantasmais sur des réveillons dans des chalets de bois recouverts d'un délicat manteau de neige scintillante. Avec une nostalgie parfaitement mystifiée, je me réchauffais les mains au feu de bois. La seule lueur qui occupait cette pièce inventée par mon imagination était celle diffusée par les flammes qui s'entortillaient en une danse primitive. Autour de ces sorcières, une multitude de familiers virevoltaient de façon lascive et sensuelle. Profondément perdu dans mes pensées, les lamentations de Thomas s'étaient peu à peu étouffées dans une épaisse couverture dont mon esprit m'avait recouvert le corps.

Nous étions arrivés devant la porte d'entrée de mon immeuble et Thomas, infatigable, poursuivait son réquisitoire contre les fêtes. Depuis longtemps, j'avais compris que son incapacité à se réjouir des fêtes n'était qu'un artifice inconscient visant à dissimuler sa maladresse congénital à nouer des liens avec les autres représentants du genre humain. Lui demandant d'observer le silence le temps d'atteindre mon appartement, je lui montrais l'exemple en montant d'un pas feutré d'antiques marches d'escalier de bois grinçants. La rampe en fer forgé qui escortait un escalier s'enroulant sur lui-même rappelait la splendeur de ces immeubles haussmanniens d'un temps glorieux depuis longtemps révolu.

Arrivé sur la dernière marche de cet escalier branlant qui baignait dans l'obscurité, il me fallut plusieurs tentatives avant de trouver la serrure. Un cocktail d'alcool et de fatigue, une ampoule qui clignotait au gré de ses humeurs, tout concourrait à rendre la situation exaspérante. La clé vînt taper à plusieurs reprises contre la serrure avant que je parvienne à l'y introduire. La porte s'ouvrait enfin sur mon antre de célibataire où les émanations de la débauche et les odeurs de ma solitude avaient marqués l'atmosphère d'une présence tenace et pesante.

Publié dans Littérature

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J
<br /> <br /> Tu as un très bon style crois moi, il te faut juste décrire un plus les lieu et les personnages donne plus d'image a ton texte et du vivant. Tes histoire peuvent faire de beau livres. CONTINU<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> Allez je me prend une petite heure a venir sur mon ordi car entre hier et aujourdhui jarrete pas de levé mon verre alors je te dis pas !<br /> je suis pas bien fraiche loll<br /> jespere que tu as passé un bon reveillon ainsi qun joyeux noel !<br /> nous ça etais super et les enfants ont bien etaient gaté !<br /> Et voila encore un noel de passé et la fete nest pas terminé viens apres le jour de lan va falloir que je fasse la provision de bouteilles encore hihihi !! jai bu un coup a ta santé a minuit pile<br /> !<br /> Alors jespere que mon voeux te sera realisé et que tu iras bien tout au long de cette annee ! je vais te laissé pour aujourdhui car je retourne avec mes fistons joué avec leurs jeux de foot et de<br /> catch loll<br /> je te fais plein de gros bisoussssssss et je te dis a plus tard !<br /> BISOUSSSSSSSSSSSS<br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Comme toi je n'ai pas beaucoup de talent, mais j'aime ce que tu écris, ne te sous-estimes pas, moi sur le net, j'ai eu plusieurs fois des commentaires pour me décourager, mais j'aime écrire,<br /> d'ailleurs j'en ai écrit tant de choses que je dois enfin à décider d'éditer mes livres, merci pour ce beau partage, je te souhaite un joyeux Noël.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> en tous les cas, continue d'écrire et de peindre si c'est toi qui a fait le tableau qui illustre l'article...<br /> Bonne continuation.. je me revois il y a trois ans... l'écriture, pour ma part, je la vois autrement...et ce n'est pas une critique contre toi, au contraire...<br /> Bise<br /> <br /> <br />
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